Evil is unspectacular, and always human, and shares our bed and eats at our table.
Ce n’était pas vraiment avec les cochons eux-mêmes que Valentin avait nourri une obsession. Il était facile de le croire – son masque ne semblait pas tellement laisser place au doute. Pourtant, ce qui l’intriguait véritablement en ce monde, c’était bien les humains eux-mêmes. Les humains et leur servilité, les humains et leur malléabilité. Rien de plus façonnable qu’un humain. Tous… rien que des poupées, des tas de boue que lui, sculpteur inventif, génial artiste, saurait sublimer, élever au rang d’objets d’art.
On pense à tort que toutes les villes d’Europe de l’est se ressemblent. Un certain charme post communiste qu’elles partageraient. Une nostalgie, une tristesse commune. Valentin n’avait jamais vraiment compris ce fantasme d’Occidental. Il était slave, si slave qu’il n’avait jamais pu se défaire de son accent à couper au couteau. Les mauvaises langues, ou plus généralement les Américains ajouteraient : « de sa folie non plus ».
Vrai, Valentin était dingue. Mais tous les slaves ne le sont pas. D’ailleurs, tous les Européens de l’est ne sont pas slaves. Valentin l’était lui, car il était Tchèque. Un Tchèque slave, pas un Allemand. Croyez-moi, la différence est importante. Son pays natal, il ne l’avait jamais vraiment aimé. Des rues sombres, de fabuleuses églises et des opéras. Il aimait les opéras et c’était pour lui ce qui sauvait Prague. Prague sans la musique…elle ne serait rien. Un peu comme lui sans la drogue.
Jeune, c’était la médecine qui l’avait attiré. Certains de ses camarades s’étaient tournés vers les études de vétérinaire et il en était resté assez perplexe. Pourquoi s’intéresser à l’intérieur des animaux quand on peut ouvrir des humains ? Encore un truc qu’il trouvait bizarre. Les cochons occupaient une place à part, toutefois. Un cochon, c’est presque un humain. C’est plus propre qu’on le pense à première vue, ça se satisfait d’un rien, et c’est curieusement affectueux. Sans parler des bruits qu’ils font quand on les égorge. Eventrer un cochon, d’une certaine manière, c’est un moyen comme un autre de compenser ses pulsions meurtrières.
Jeune enfant, il quitta Prague pour Londres sur un coup de tête de son père. Il était un élève brillant et élégant. Brillant car il savait réviser lorsqu’il le fallait. Elegant car il fréquentait assidument les opéras – à Londres, cela suffit, en général. Surtout si vous savez aussi faire la différence entre un Côte du Rhône et un Bordeaux. Autant dire qu’en bon francophile, il atteignait le summum de l’élégance Londonienne.
Oui, il aurait pu devenir un brillant médecin et adulé de tous, pour couronner le tout. Fonder une famille, même, avec une femme et des enfants. Ca aurait rendu sa vieille mère heureuse, du fond de sa tombe, ça c’est sûr. Mais à quoi bon ? C’est à son père qu’il voulait plaire, et il décéda alors qu’il n’avait fait que deux ans de médecine. Sans même attendre qu’il puisse le montrer, son diplôme. Pourquoi continuer ?
Avec le recul, peut-être que la mort de son père l’avait aidé à trouver sa voie. Il avait décidé d’être chirurgien pour devenir comme papa – mais finalement, il ne s’était jamais demandé si c’était vraiment ce qu’il voulait. L’Europe de l’Est était tellement sombre, à l’époque et lui, lui il voulait s’amuser. Les Français disaient épicuriens. Lui aussi, car il parlait couramment le Français. En tout cas, son père disparu, ses études de médecine lui semblèrent dénuées d’intérêt. Associer le grotesque au sublime devint une de ses spécialités : il fonda une troupe de cirque, qu’il prénomma ‘Le Cirque de l’Etrange’ – un nom très seyant. On y présentait des spectacles somptueux et intrigants qui captivaient les publics les plus froids d’Europe.
Lazlo aurait peut-être pu se contenter de cela – la reconnaissance, il l’avait, en tant qu’artiste. Un encart dans un journal Londonien l’avait même un jour sacré ‘le plus créatif des messieurs Loyal’. Il avait bien aimé, sur le coup. L’article de journal en question devait même trainer quelque part chez lui, encore maintenant. Les numéros d’équilibristes, les tours de passe-passe des magiciens le lassaient, toutefois. Il se sentait emprisonné sous son propre chapiteau sans qu’il ne parvienne à savoir pourquoi exactement.
Gotham était une ville sombre et glauque à tous égards, si bien qu’il se demanda vite s’ils avaient bien fait d’y installer le Cirque de l’Etrange. Puis la ville lui démontra son potentiel. S’il y avait un seul endroit au monde qui surpassa son cirque en étrangeté, c’était cette ville. Gotham City était le Cirque de l’Etrange – son incarnation parfaite et comme dans d’autres avant lui, il jura qu’il la ferait sienne. Avide de pouvoir, mais intelligent et sachant rester discret, Vincent sut s’octroyer une place de choix parmi la pègre abondante de Gotham. Entre ses spectacles et son activité prolifique de dealer, il trouvait le temps de se rendre au théâtre et aux soirées somptueuses où il évoluait avec aisance. A cette époque, Lazlo Vincent semblait avoir trouvé sa voie.
Il y avait toujours un justicier ou deux pour lui mettre des bâtons dans les roues, mais il n’avait pas à se plaindre. Le Batman ne l’effrayait pas plus que de raison, d’abord parce qu’il se refusait à trembler devant un type costumé en chauve-souris (bien qu’il rêvât de l’engager pour sa troupe – oh le succès qu’il aurait eu !). Puis, il savait pertinemment qu’il ne figurait pas parmi les têtes de liste des criminels à éliminer.
Tout changea lorsqu’on lui confisqua son Crique de l’Etrange. Pas assez de visiteurs, pas suffisamment d’entrées ! Il avait misé sa réussite sur ce Cirque, et voilà que tout lui filait entre les doigts. Il errait, artiste sans but, dans les ruines de son chef-d’œuvre. Son esprit rationnel le sauva du désespoir – il s’efforça de trouver une solution, car il n’existait pas de problème qu’on ne puisse résoudre. Il retomba dans la science, persuadé d’y trouver vengeance, félicité, et création. Il eut raison, d’ailleurs, il y trouva même plus. Lorsqu’il enfilait ce masque grotesque, qu’il revêtait ce tablier de boucher, Lazlo Vincent s’autorisait enfin à exister. Il se nommait Professeur Pyg, mais ce n’était qu’un surnom de circonstance – en réalité, c’était bel et bien le véritable lui qu’il avait découvert.