Quelque part dans les bas-fonds de Gotham

Un air éraillé, grinçant trainait dans l’air. Une vieille chanson sirupeuse des années cinquante. L’endroit était vaste, froid, humide. Les murs étaient d’antiques briques rouges nues et fissurées. L’air empuanti d’une odeur de clope froide, d’humidité et de vieille moisissure. Un ploc liquide résonnait de temps à autre, fruit d’une infiltration du plafond sur une flaque d’eau sale. Et surtout, surtout ! Des pleurs. Elle n’en finissait pas de chialer celle-là. L’homme eut un tic nerveux, un haussement de sourcils à peine perceptible. Il marchait de long en large devant une pauvre blondasse à genoux dans l’eau croupie et la fange. Il n’y tenait plus. Il s’alluma une nouvelle clope, le mégot de la précédente ayant à peine atteint le sol. Ce genre de situation le rendait toujours nerveux. Dieu seul sait qu’il n’aimait pas les entendre chougner ! C’était toujours la même : Je ne voulais pas m’sieur ! C’pas d’ma faute ! Snirfl ! Il m’a forcé à faire ça. Je l’ai fait pour mon geignard de mioche M’sieur… Toujours la même rengaine… Vraiment, quel manque d’imagination ! Ptet bien qu’un jour il laisserait la vie sauve à celle qui lui pondrait une histoire si énorme, si drôle, si distrayante ou originale qu’il en rirait. Oui, ptet bien ! Mais ce n’était pas pour ce soir encore. Il inspira profondément une bouffée de nicotine, puis clope au bec, sortit de sa poche intérieure un peigne. Il se le passa négligemment dans les cheveux. Il renifla encore un fois : l’endroit était humide.

Il se stoppa et rangea le peigne, reprenant le tube de tabac pour faire tomber la cendre qui s’accumulait. Il s’accroupit devant la poulette qui craillait. Il glissa un doigt sous son menton, l’obligeant à le fixer droit dans les yeux. Du coup, lui aussi s’infligeait un spectacle peu plaisant. Yurk ! Nan mais quelle horreur ! Regardez-moi cette épave larmoyante là ! Même le maquillage du groupe Kiss avait meilleure allure. Il essuya gauchement l’une des joues de la jeune femme, étalant bien au passage le noir de son rimmel sur toute sa joue.

« Alors vas-y, jt’esgourde... Dits moi pourquoi je suis ici ce soir, dans c’te taudis sans nom, à voir ta face de poufiasse mal fagotée en train de chialer comme c’est pas permis, alors que j’pourrai être en c’moment même en train de tringler une minette bien au chaud n’importe où ailleurs ? » Son ton était froid, mesuré, blasé, un rien agacé tout de même. Cela le faisait clairement chier d’être ici, en ce moment même, à supporter les tronches de cake des ptits branleurs lui servant d’homme de main et plus encore celle à qui il faisait face. Il envoya voler sa clope au loin, tandis que la putain renifler pour essayer de se calmer.

« J’poireaute là à t’écouter chialer comme une baleine et toi tu trouves rien à me déballer ?

_P… Pardon M’sieur ! Jle ref’rai plus ! Jsuis désolée ! Snirfl ! »
Ah bah voilà, justement ce qu’il ne voulait pas entendre… Il soupira, sentant sa patience s’entamer de plus en plus. Puis, elle commençait à le dégoûter franchement là, à renifler comme ça.

« Vous comprenez m’sieur… Mon gamin… i-il… fallait ben qu’fasse des courses… pour qu’y mange… »
De pire en pire. Il passa une main dans son dos, tirant le couteau de son étui et regardant la lame briller à la lumière froide des néons.

« Y s’appelle comment ton chiare ?

_C-comment ? »
Mauvaise réponse. Il la gifla et elle couina plus qu’elle ne cria.

« Y y s’appelle… Clar…Chloé… »
Il reprit son hésitation en l’imitant, l’amplifiant, la tournant en ridicule. Il se releva et refit quelques pas, jouant avec le couteau entre ses mains.

« Tu t’fous ben de ma gueule là… Clar-Chloé n’existe pas hein ?! Tu m’tire mon fric, et tu m’déballes tes foutaises… croyant ptet que j’vais y croire ! Que j’vais mlaisser attendrir parce que t’as été foutu en cloque un jour par j’ne sais pas quel pourceau ! »
Elle fondit en larme, peu soucieuse du bruit de ses pleurs et de ses geignements. Personnellement s’en était trop pour Malone. Il se retourna, lui faisant volte-face, et d’un geste rapide, imprévisible, lui refila un coup de pied dans les côtes si fort que cela lui coupa le souffle.

« Bieeeeen… On s’entend gamberger maint’nant ! » fit il en se penchant vers la prostituée qui cherchait encore son souffle. La vieille radio passait un air plus enjoué. Toujours dans un style rockabilly plaisant tellement au mac. D’ailleurs celui-ci lança un regard à ce qu’il appelait ses hommes de main. Ils comprirent qu’il était temps de les laisser seuls. Matches Malone allait prendre son pied ce soir, d’une façon ou d’une autre, mieux valait ne pas le déranger.