Premier souvenir, il se mêle aux autres, couleurs fanées, et puis une silhouette, toujours la même….
Premier souvenir, elle a mal aux mains, de grosses ampoules se sont formées sur sa paume, cela la brûle. Elle pleure, le bras vole, la frappe. Silence…
On lui a donné un bâton, l’objet est lourd, appuie sur ses mains blessées. Le pus coule, elle n’y arrive plus, elle le lâche, tombe à genoux. Par terre, elle peut voir l’ombre de l’homme dans la poussière, il est immobile. Et puis soudain, un léger tressaillement agite l’ombre, elle comprend qu’il va l’attaquer, elle roule, essoufflée, évite. Le temps s’arrête, il la regarde, il ne la tape pas. Pour une seconde, Cassandra comprend qu’elle a bien fait. Et puis le temps reprend, cette fois ci les coups, elle ne les évite pas. Elle le déçoit. Elle a quatre ans.

On lui apprend le corps, les armes, la mort. On ne lui apprend pas qui ils sont, ces gens qu’elle frappe, ni qui elle est, elle. Son cerveau est une tablette d’argile, l’homme la modèle par ses silences, son ombre et ses coups.
Un jour, il lui parle. Cassandra apprend à le comprendre, non à lui répondre : pour elle il est déjà trop tard semble-t-il. Elle peut émettre des sons, des borborygmes, des squelettes de mots, mais cela est tout. Pourquoi faire, hein ? Elle sait les muscles, elle sait les nerfs, le rythme d’un cœur, celui d’une respiration…Elle connaît les ombres, les armes, le sang, les veines, le souffle. Elle ne sait pas qui elle est, elle ne sait pas qui ils sont.
Elle sait juste que cet homme est son père, et qu’elle doit se battre. Contre lui, contre les autres qui l’entraînent parfois, elle en vient à apprendre leurs corps à eux, elle se blesse souvent, elle les bat parfois.

Les jours, les mois, les années passent. Elle les bat tout le temps. Tous. Tous sauf lui, son père… Il l’emmène avec lui de par le monde à présent ; Elle le suit, elle voit la mort. La mort qu’il donne, qu’elle devra donner un jour aussi. Pour de vrai. C’est ce qu’elle est sensée être : l’assassin ultime au service de la ligue des Ombres.
Fille de David Cain, pourquoi ? Pour une question de génétique. Qui est Cain ? Son père, l’homme. C’est l’homme. Sa mère ? Elle ne demande pas, elle ne sait pas. Elle ne sait pas qui est lady Shiva, elle ne connaît même pas ce nom, pas plus que celui de Sandra Wu-san. Elle ne sait rien, évidemment qu’elle ne sait rien d’un homme qui manipula une femme pour tenter de faire un enfant aux gènes parfaits. Elle ne sait rien de cette femme qui abandonna le bébé à la naissance, le laissant à l’homme, à ses enseignements, l’oubliant…
Et qu’est-ce que cela lui rapporterait, de toute manière ?
Son père est un chasseur, un prédateur. Son père est un tueur, il veut qu’elle le soit, elle le sera. Il ne l’a pas élevé comme l’on élève une fille, chair de sa chair, sang de son song, il en a fait un chien de combat, son chien de combat.
Née d’un champ de batailles d’hypocrisie et de passion.
Mais, solitaire, non entamée ou souillée par l’humanité, David Cain comprit trop tard qu’il avait fait de sa fille non pas un chien, mais bien un loup sauvage, esseulé.
Il l’envoya pour la première fois tuer. Seule. Elle est jeune encore, Cassandra, elle est jeune sans pourtant l’avoir jamais été, et dans la grande ville de Gotham elle est le loup dans la bergerie. Hélas, piégé au sein du troupeau, le loup n’a d’autres choix que de se dévorer de ses propres crocs…

L’homme d’affaire fut abattu. Elle ne le connaît pas, elle ne se connaît pas. Des morts, elle en a déjà vu plein, mais c’est cependant la première fois qu’elle achève, elle, quelqu’un. Ce qu’elle lut dans son corps la traumatisa alors : peur, terreur, angoisse, désespoir. Des émotions comme cela, elle n’en avait jamais eu, mais les lire sur cet homme agonisant, même pendant une fraction de secondes, c’était les ressentir.

Panique, déroutement, elle court, elle court, rien ne la rattrape. Dans les rues de Gotham, elle se cache, elle a peur. Elle est douée, Cassandra, elle a bien appris :et seule elle arrive à survivre dans le secret de la mégapole.
Elle ne sait pas parler, à peine grgner, mais voilà qu'elle apprend à dessiner et peu à peu, parvient à communiquer. C'est une adolescente quand Barbara Gordon la remarque. Elle paraît juste un peu plus triste que la normale, un peu plus traumatisée aussi, à nager entre deux eaux, entre deux silences, piégée par le marteau et l'enclume, le diable et le bleu profond de la mer. Parce qu'elle n'a jamais cessé de surveiller les agissements de son père -et peut-être la remarquait-il parfois sans pour autant jamais chercher à la récupérer-, Cassandra sait que le commissaire de la ville est en danger. C'est un vieux monsieur avec une moustache, quelqu'un qui sert à protéger les gens sans les taper pour autant. Sauf les méchants. Cassandra est une méchante sauf qu'elle va sauver le vieil homme et sa moustache avec. C'est comme ça...

Empêchant un attentat de la main de David Cain, affrontant pour la première fois ce père tout puissant dans le but de le vaincre et de l'éradiquer, la jeune fille sauvera la vie du commissaire et se fera remarquer de Batman comme de Barbara Gordon. Bruce Wayne la recueillera, lui prodiguant foyer et affection et devinant quel avait été le projet de son ancien mentor, David Cain, fera de Cassandra la nouvelle Batgirl, avec l'aide de Barbara. Sauver les gens, une manière d'expier le chemin qu'on a voulu un jour lui faire prendre, trouver une identité autre que celle d'un assassin et surtout, enfin avoir une figure paternelle et protectrice pour l'aider à grandir et s'humaniser. Cassandra apprendra à parler, même si bien des dommages restent de par l'éducation de Cain, elle y perdra peut être quelques unes de ses capacités, mais n'en reste pas moins une combattante accomplie. Avec l'aide de Bruce, elle affrontera son père à nouveau, parfois. Elle apprendra à vivre avec d'autres, avec Barbara, avec Tim aussi bien que celui-ci semble avoir parfois peur d'elle, avec Alfred qui du faire avec le caractère de chaton bondissant et névrosé de la jeune fille lorsque l'envie lui en prenait. Pauvre Alfred.
Et Cassandra fut heureuse -bien qu'elle regrettait que Bruce ne porte pas de moustache, cet attribut l'avait vraiment marqué chez Gordon-, à guérir d'un peu de son enfance et à grandir. Et puis Bruce mourut, une perte auquel la jeune fille ne sait comment réagir, replongeant dans un certain mutisme et une peur de la vie.
Sans Bruce, Cassandra pense ne plus avoir le droit d'être Batgirl, alors elle réfléchit à un nouveau nom, elle veut le proposer à Barbara, mais son aînée a mieux à faire en ce moment. Qu'importe, Cassandra parcourt la ville sans vraiment comprendre la douleur de son deuil, elle qui possède si peu de mots. Il faut qu'elle accepte, qu'elle se stoppe et enfin s'arrête pour qu'à l'encre des larmes, ses amis lui fassent prononcer le mot « souffrance » qui lui alourdit tant le cœur.