Le manoir était calme ce soir. Tous les chats dormaient, mis à part Teekl qui avait quitté le manoir il y a de ça quelques heures. Pas de majordome trop curieux dans les pattes, le dernier ayant été viré ce matin. Et pourtant le doux fumé d'un poulet aux miel et aux noix prenait possession de toute la bâtisse. Était-ce donc Klarion qui avait préparé ça lui même? Certainement pas, c'était un piètre cuisinier, et de toute façon, cuisiner était pour lui une tâche aussi ingrate que le ménage, il laissait ça aux servants. Mais il n'y avait plus de servants... alors comment?
Dans le salon principal, éclairé par la douce lumière du vieux plafonnier en cristal et ses treize bougies, la musique grésillante du vieux tourne disque s'échappait jusqu'à dehors, par la fenêtre entre ouverte. Ça ne faisait qu'ajouter au charme angoissant de ce vieux manoir en parfait état, comme si le temps avait fait une pause autour de cet endroit, perdu dans l'espace, près et pourtant si loin de Gotham...

- And if I kiss you in the garden, in the moonlight, will you pardon meeeee ? ♪

Un sourire satisfait était affiché sur le doux visage du diable. Klarion dansait doucement dans son salon avec un verre de vin rouge dans la main et un cigare dans l'autre. Sa longue veste noir brodée d'argent se balançant au rythme de ses pas. Il avait de quoi être satisfait, cela faisait tant de temps qu'il observait sa belle en silence, caché dans les ombres. Sa douce inanimée, sa princesse froide et cruelle, dont les mains étaient tachée de sang et l'esprit meurtri. Quelle pensée délicieuse de savoir qu'il allait bientôt avoir le premier vrai contact avec elle. Il avait chargé Teekl d'aller la chercher, et il savait qu'il n'allait pas échouer.
Il s'arrêta un instant de danser en fronçant vaguement les sourcils. Et si il ne lui plaisait pas? Si elle le trouvait inintéressant? Il secoua la tête.

- Impossible. Personne ne peut me trouver inintéressant. Loving in the moonlight having a wonderful time ♪

Il se remit à danser doucement avec toute sa grâce et son air hautain. Coinçant le cigare entre ses dents en y prenant quelques bouffées, il arrangea son col de chemise et son foulard. Il devait être présentable pour celle qui hantait son esprit jour et nuit. Mais à vrai dire, l'idée qu'elle lui résiste était plus appréciée que crainte, c'était mieux, quel intérêt qu'elle se jette à ses genoux en le voyant, il s'en lasserait bien vite. Il ne voyait pas Sasha comme la poupée avec laquelle on joue un peu à noël et qui finit au fond du grenier, Sasha... c'était le jouet précieux d'une collection inestimable dont on ne se lasse pas. Et il l'obtiendrait, peut importe combien de temps il mettra. Il eu un soupir, c'était une torture d'y penser, un torture qu'il appréciait tout particulièrement. Mais il devait la jouer fine, au moindre faux pas, l'illusion théâtrale serait brisée, et tout ses efforts perdus. Il ne devait pas lui faire peur, il fallait l'attirer doucement dans sa toile, doucement jusqu'à ce qu'elle soit assez proche, et là...
Il tourna ses yeux bleu aussi inquiétant qu'envoutants vers la fenêtre, sorti de sa rêverie. Teekl était revenu, et surtout, il n'était pas revenu seul.

- Bien joué mon précieux... Age of miracles, hadn't past ♪

Teekl passa à travers les barreaux du portail de l'entrée, comme une ombre dans la nuit. Il jeta un regard en arrière pour voir si la précieuse invitée suivait toujours, puis continua son chemin et se faufila dans l’entre-bâillement de la grande porte d'entrée. La musique résonnant doucement autour et à l'intérieur de la demeure. Le félidé ralentit sa course une fois à l'intérieur en se dirigeant tranquillement vers le salon où se trouvait son maître, puis sauta agilement sur le canapé en velours rouge avant de s'y prélasser en regardant vers la porte.

Le maître tourna doucement la tête vers son fidèle ami en lui souriant d'un air presque tendre.

- Te revoilà donc... Je commençais à m'inquiéter.

Il leva les yeux vers la jeune fille quand elle entra dans la pièce et les émotions qu'il ressentit à ce moment furent indescriptibles. Il l'avait en face de lui, si proche, et surtout, elle savait à présent qu'il existait, ce n'était plus une ombre la suivant en silence, il n'était plus transparent, il existait dans son esprit. Il sentit un frisson lui parcourir l'échine jusqu'à redresser les petits cheveux sur la base de sa nuque, c'était enivrant, le premier vrai contact visuel, et qu'est-ce qu'elle pouvait être belle, non, elle n'était pas belle, elle était parfaite. Il ne pouvait retenir ses yeux de briller, hypnotisé par son visage impassible. Son cœur battait la chamade et il sentait même quelques perles de sueurs couler le long de sa nuque, les mains moites , comme un premier amour d'adolescence. Non... C'était plus que de l'amour, dangereusement plus. Ça lui semblait durer des heures, comme si ils avaient quitter l'espace-temps, et il priait pour que ça dure encore, ce flottement si agréable, son cœur qui semblait sortir de sa poitrine... Mais toutes les bonnes choses ont une fin.
Il reprit contenance en souriant et reprit le cigare qui était entre ses lèvres pour l'écraser par politesse. Il entrouvrit les lèvres pour parler mais fut bloquer par les mouvements de sa muse, elle avait l'air si fier, si forte, et si fragile à la fois, comme de la porcelaine, il en avait presque peur de respirer. Il déglutit discrètement et ce fut elle qui prit la parole la première.

"Oh Lord Of Chaos..." jura t-il dans sa tête.

Sa voix, cette voix, ce doux son qu'il avait traqué pendant des nuits, et il lui était destiné, avec ce ton délicieusement condescendant, et il sut, il sut qu'elle était faite pour lui, c'était le chef d’œuvre d'une vie, et il ne le laisserait pas lui filer entre les doigts. Il se racla la gorge en s'efforçant de sortir de sa contemplation.

- Je... Mh. C'est mon chat, exact, Teekl de son nom... C'est en tout cas bien aimable à vous d'avoir pris soin de lui. J'apprécie.

Sa voix tremblait légèrement, comme un jeune garçon timide, et parfois bégayante. Sa respiration était difficile, comme si il en avait peur. Mais c'était d'excitation, une excitation sans désir charnel, simplement s’extasie de la rencontrer enfin face to face. Il lui adressa un léger sourire. Puis secouant la tête avec un air outré, il posa son verre sur la table d'un geste précieux et se redressa.

- Je suis grossier, veuillez m'excuser.

Il se pencha poliment, comme ces nobles du 18ème siècles qui faisait la cour aux demoiselles de leur rêves. Puis redressa la tête vers elle pour planter ses yeux dans les siens, accentuant son regard en la regardant d'en bas.

- Clarence Cromwell, bienvenue au manoir Cromwell. Mais s'il vous plait, appelez moi Klarion.

Ses mots résonnaient très légèrement malgré le tourne-disque qui tournait toujours, comme la voix d'une de ces fantaisies tout droit sorties d'un rêve. Il se redressa en lui souriant puis détourna son regard vers la fenêtre entre-ouverte par laquelle s'engouffrait un léger vent qui n'annonçait rien de bon. Il soupira puis retourna à la jeune femme.

- Un gros orage va éclater d'une minute à l'autre. Je suis navré que mon chat vous ai mené si loin de Gotham avec la venue d'un temps pareil. Il regarda vers la cuisine. Le souper est sur le feu et il y en a de toute façon trop pour moi et mes chats. Il revint à sa belle. Aussi, si vous le désirez, et pour me faire pardonner, je vous invite à rester souper avec nous. Le temps que l'orage passe son chemin.

Hasard ou...? Qui sait jusqu'où les pouvoirs de Klarion pouvaient aller. C'était gros, un hasard tellement gros que s'en était dérangeant, mais tellement gros que ça pouvait passer comme une lettre à la poste, dans la continuité de cette soirée bizarre, "It's so over it's covert", elle ne croyait de toute façon pas en la magie. Il avait l'air enchanté, sa condamnée allait peut être rester pour le souper, et même si elle décidait de partir, ce n'était que partie remise. Elle savait maintenant qu'il existait, et il savait que sa curiosité la pousserait à nouveau vers lui, maladivement. On approche un chat sauvage en le laissant venir de lui même, et même si c'était plutôt Klarion le chat, et elle la souris, cette pensée l'amusait. Il tourna les talons et ferma la fenêtre avec soin.

- Mais si vous désirez partir, acceptez au moins de prendre un parapluie.

Qu'elle lui ramènera peut-être? Mais retrouvera t-elle seulement le manoir? Un sort planait sur le manoir et il était bien difficile de tomber dessus en voulant le trouver, histoire de se protéger des fouineurs trop indiscrets, ou de potentiels ennemis. Pour y venir il fallait de la chance, car il faut d'abord se perdre pour trouver l'introuvable. Ou encore connaitre la sorcellerie, et se protéger de ce charme de dissimulation, comme l'avait fait Teekl en la menant jusqu'à son maître.  

- Oh... il se tourna vers elle. A propos, oserais-je vous demander votre prénom?

Bien entendu qu'il connaissait son nom, mais pour que l'illusion reste parfaite, il fallait faire en sorte de la garder intact.